Droit de l’Homme et Auguste Assemblée Nationale

16 septembre 1791 La France vit sa Révolution. Restituons le contexte : Depuis les événements de juillet/août 1789, de nouveaux principes guident l’action politique du pays. L’Ancien Régime et ses droits fondamentaux ont été liquidés. On a d’abord tenté de conduire le pays en associant les élus du peuple et le Roi. Le 14 juillet 1790, eut lieu la fête de la Fédération pour célébrer la concorde et l’unité nationale retrouvée. Mais dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, le Roi s’enfuit de Paris pour tenter de trouver refuge dans les pays germaniques auprès des émigrés de la noblesse française et de son beau-frère Léopold II empereur du Saint-Empire romain Germanique.

La suite, on la connait : arrestation du Roi à Varennes, retour forcé à Paris. Il faudra encore attendre les événements de 1792 pour que la République soit proclamée , le Roi arrêté et jugé comme simple citoyen puis exécuté. Mais le pouvoir politique est désormais entre les mains seules de l’Assemblée Nationale. Les Monarchies voisines de la France ne sont pas encore entrées en guerre mais elles s’inquiètent.

L’Alsace, comme souvent, est aux premières loges d’autant que, même si elle est française depuis plus d’un siècle, des terres et biens impériaux persistent en Alsace, gérés selon des droits de suzeraineté médiévaux issus de temps désormais révolus.

Pour se recentrer sur le Ban-de-la-Roche très séduit par l’esprit de la Révolution, ayons à l’esprit qu’en franchissant simplement la Bruche à Rothau ou à Fouday, on quitte la France pour la Principauté de Salm encore indépendante. Cela n’est peut-être pas anodin dans le dramatique épisode raconté au travers du simple acte de baptême suivant :

Il s’agit d’une naissance d’enfant naturel. En cela, c’est une affaire dramatique. On apprend que la mère, Marie Jeanne Hisler, fille de feu Benoit a accouché d’un enfant et qu’elle a désigné le père, à la fois au pasteur Brion et à la sage-femme. La pratique est ancienne et commune de profiter des douleurs de l’accouchement pour soutirer ou confirmer des aveux.

Le père désigné est un certain Jacob SCHEER dont le père tient une cense dans la Principauté de Salm et chez qui la jeune femme a travaillé comme domestique. Les faits rapportés s’arrêtent là et si on peut imaginer bien des choses qui vont d’un amour réel mais interdit à des actes plus graves, on peut constater que la jeune femme doit subir seule les conséquences et qu’elle ne travaille plus sur la cense.

Rappelons-nous que même s’il habite à quelques dizaines de kilomètres seulement, Jacob SCHEER ne réside pas en France. Difficile donc d’aller lui demander légalement des comptes. Rien n’empêchait des remontrances morales et religieuses. Encore faudrait-il qu’à cette époque, bien éloignée de la nôtre, on ait eu ce genre de préoccupations vis-à-vis d’une jeune femme.

On possède trace d’une famille Scheer (Schaer, Schär) au Ban-de-la-Roche, d’origine suisse réformée. On y trouve le prénom de Jacob (Jacques en français). On y trouve un passage par la cense du Palais, au-dessus de Saulxures, dans l’ancienne Principauté de Salm. Les membres connus de cette famille et portant ce prénom sont mariés au moment de cet événement. Le fait de rejoindre des censes en Principauté de Salm fait aussi penser à des liens avec les familles mennonites habitant majoritairement ces lieux. Il est donc possible qu’un membre de cette famille se prénommant Jacob, vivant dans une cense ait pu être concerné sans qu’on ne puisse en aucun cas savoir de qui il s’agit.

Famille réformée ou mennonite ? La présence en terre de Salm où la majorité des censiers est anabaptiste pourrait laisser supposer une attiance envers ce mouvement religieux. Dans ce cas, on pourrait supposer des choix rendus difficiles voire impossibles entre un élan amoureux et des règles strictes interdisant toute relation en-dehors de la mouvance religieuse au risque de se faire excommunier et exclure de la communauté. Mais les indices sont ténus et sans grande valeur et on ne peut exclure une réalité plus sordide où la femme séduite mais supposée pécheresse n’a plus qu’à disparaître et subir son sort. D’autre part, plusieurs mariages ont eu lieu depuis plusieurs générations entre des membres de la famille Scheer et des femmes du Ban-de-la-Roche ce qui éloigne l’idée salvatrice pour la morale d’un amour rendu impossible pour des raisons religieuses.

Comme un symbole peut-être, pour le préserver, l’enfant est baptisé Innocent. Il mourra à l’âge de vingt mois et sa mère se mariera en 1796 avec Michel Mathias Malaisé de Wildersbach. Le couple aura deux enfants.

Un changement de droit. Le grand changement vient de cette phrase jusque là inédite dans les actes rédigés par un pasteur : « Conformément au Droit de l’Homme, à la pétition de la mère, et au décret rendu par l’Auguste Assemblée Nationale du dix-sept août dernier, le soussigné lui a donné le baptême… »

L’Assemblée Nationale a reconnu les Droits de l’Homme et du Citoyen. La mère peut demander le baptême au pasteur. Depuis les traités liant l’Alsace à la France, les protestants luthériens étaient reconnus en Alsace mais en cas de naissance naturelle, l’enfant était obligatoirement baptisé par le curé. Une manière de ramener à la religion catholique la brebis égarée. Il en était de même des mariages mixtes qui obligeaient les couples à rentrer au bercail, du moins du point de vue de Sa Majesté catholique. Les Droits de l’Homme reconnaissent la liberté de religion.

Un changement de ton ? Pour terminer mes réflexions à partir d’un simple acte de baptême, je suis frappé du ton du pasteur Brion. Il parle avec déférence de l’Auguste Assemblée Nationale. quelques années auparavant, il évoquait le Baron de dietrich, maître du Ban-de-la-Roche en utilisant le terme de Gracieux Seigneur, avec majuscules !

Léonore, Frédérique même combat ?

Une note anachronique

Voici le texte écrit en marge de l’acte de baptême de Léonore JACQUEL (née le 10 février mille sept cent nonante et un, à neuf heures du soir à Rothau, fille de Jean Nicolas JACQUEL cabaretier et Marguerite BOHY) :

« devenue femme Kayser était allée à Leipzig demandée par une famille de Strasbourg amie de Dietrich demandeuse une jeune fille pour parler français – là-bas demandée par une autre famille amie, habitant Leipzig – cédée à regret – pendant les guerres de Napoléon ramenée après 11 mois – parlait bien allemand, très belle – mariée à un homme qu’elle n’aimait pas – malheureuse – un frère de sa dame l’aimait et lui a écrit de belles lettres cependant il n’en était un brave homme honnête – ancien soldat – tailleur 7 enfants. »

Evidemment, cette annotation n’a pu se faire qu’après la naissance des sept enfants de Léonore mariée à Jean jacques Kayser, tailleur. Voici sa descendance.

Le dernier enfant est né en 1834, le pasteur Chrétien BRION était déjà décédé, en 1817 à Strasbourg. Il avait d’ailleurs quitté le ministère de Rothau pour Gries. Il fut aussi pasteur à Barr. Qui a pu avoir l’autorité d’écrire cette note dans un registre officiel ? La personne qui a révélé la vie de Léonore devait avoir suffisamment d’importance, de pouvoir pour écrire de sa main ou faire écrire de tels propos. On touche à l’intime d’une personne et seule la famille proche pouvait à mon avis connaitre ces faits.

La piste la plus évidente me semble l’ascension sociale d’un frère de Léonore puisqu’il s’agit de Jean Frédéric JACQUEL, fondateur de la dynastie d’industriels qui s’établirent à Natzwiller et la Haute-Goutte, commune de Neuviller-la-Roche. Le mystère de l’auteur ou de l’instigateur reste pour l’instant entier.

Là où cette note prend de l’ampleur, du relief à mes yeux : Cette histoire est celle d’une belle jeune femme qui ne peut vivre l’amour qui vient frapper à sa porte et qui reçoit de nombreuses lettres de son amoureux. Son acte de baptême a été signé du pasteur de Rothau en 1791, Chrétien BRION.

BRION ? Ce nom ne sonne-t-il pas à l’oreille pour l’éternité ? Eh oui, il s’agit du frère de Frédérique BRION qui fut courtisée par le jeune Goethe venu faire ses études à Strasbourg. Le poète a évoqué son amour de jeunesse dans Aus meinem Leben Dichtung und Wahrheit (amour et vérité). Frédérique BRION a inspiré le personnage de Gretchen dans Faust.

Goethe s’en est retourné chez lui. Frédérique éplorée ne s’est, elle jamais remise de cet abandon et ne s’est jamais mariée. Elle a vécu un temps à Rothau auprès de son frère puis elle a terminé sa vie chez sa sœur dans le Bade-Wurtemberg.

L’auteur de l’annotation avait-il en tête l’étrange rapprochement entre le destin malheureux de Léonore et de Frédérique ? On ne le saura jamais.

Rude hiver 1788-1789 au Ban-de-la-Roche

Aux temps de l’Ancien Régime, temps où les pasteurs et curés tenaient les registres qui marquaient aux yeux de la société les trois moments-clés de notre existence (naissance, mariage, décès), il était courant de mentionner des circonstances particulières et d’autres remarques – parfois d’ordre moral qui avaient un intérêt particulier aux yeux du rédacteur de l’acte. Voici quelques extraits qui nous révèlent les moments difficiles et les épreuves vécus par nos ancêtres durant l’hiver 1788-1789.

Le 31 décembre 1788, naît Louis Samuel, fils d’André VERLY, bourgeois de Neuviller, charpentier, et de Catherine Kommer. Celui-ci est baptisé le lendemain, premier janvier 1789 et voici ce qu’en dit le pasteur Chétien Brion :

« Le baptême se fit en la maison de l’ancien dudit village, l’extrême rigueur ne permettant point qu’on le porte à l’église ; – savoir la rigueur du froid. »

On trouve à peu de choses près les mêmes propos sur l’acte de baptême précédent, celui de Sara Catherine GANIERE, fille de Jean Michel, cloutier et bourgeois de Neuviller et de Catherine MALAISE.

« … a reçu le saint sacrement du baptême, jeudi le premier janvier, l’an mille sept cent quatre vingt neuf, à deux heures après midi, dans la maison de l’ancien d’église puisque le froid ne permettait point de l’exposer longtemps à son extrême rigueur. »

1789. Nous sommes à la veille d’un événement marquant de notre histoire de France. Si de grands événements peuvent s’expliquer par un échec à gouverner d’un pouvoir, par un climat social et politique difficiles, on sait depuis longtemps que la situation économique est un levier déclencheur souvent décisif. Or, l’économie ne dépend pas que de décisions humaines. Le climat météorologique joue sa partie décuplée dans ces périodes anciennes où les récoltes dépendaient pieds et poings liés du bon vouloir des saisons. Les années 1780 furent exécrables et entraînèrent souvent la disette. Citons une éruption volcanique importante en Islande en 1783, des successions de saisons où les récoltes furent malmenées voire anéanties années après années. L’été 1788, un énorme orage de grêle a dévasté tout sur son passage. L’hiver 1788-1789 a connu 65 jours consécutifs de grand froid depuis le 26 novembre 1788. L’Alsace a connu des températures descendant en-dessous de – 20°. Pour ne pas m’étendre, voici un site donnant quelques détails sur le climat de notre région au cours des siècles : association CLI.M.A 57-67-68.

J’aimerais terminer cet article sur une note optimiste mais ce ne sera pas le cas. Voici ce qui arriva à Wildersbach, village voisin et faisant partie de la même communauté paroissiale au mois de mars, à la fin du mois de janvier, le 26 précisément :

Théophile et Marie Madeleine HISLER, âgés lui de deux ans et elle de trois mois sont morts dans l’effondrement de la maison de leurs parents, Jean Jacques Hisler, tisserand et Madeleine SOLLEDER. Leur mort « fut causée par une chute d’eau, de terre, de glace et de neige qui a renversé le domicile de leur père ».

Certes, on peut supposer que cette maison fut emportée par un glissement de terrain dans un village où le creusement de galeries minières souterraines avait pu fragiliser l’assise du bâtiment mais n’oublions pas que les maisons du Ban-de-la-Roche aux murs épais sont de granit et bâties sur le roc et cela montre le déchaînement des éléments extérieurs cet hiver-là, associé à des températures extrêmes. Il est possible aussi que la maison ait été vétuste. Le gel intense avait dû fortement fragiliser le sol et les murs.

Il était une fois le hadé* de Waldersbach

* Le hadé (hodé dans d’autres villages alentour) veut dire berger, vacher. C’est celui qui emmène paître les vaches du village sur le pâturage communal (le paiquis). On trouve le mot équivalent de hardier dans un acte du Ban de la Roche.

Un petit tour dans le passé

10 février 1706. Voici ce que dit le registre tenu par le pasteur Pierre Christophe MOREL :
« Jean SOMMER de la religion réformée berger à Valdersbach est mort au dit Valdersbach le 10 février 1706 par vers les 3 heures du matin et a été enterré le jour suivant dans le cimetière de Fouday, âgé de 34 ans. »

Acte lisible en ligne

Jean SOMMER est l’ancêtre des futurs habitants du Sommerhof. Il meurt à Waldersbach, est enterré dans le cimetière de Fouday et il est dit de la Religion réformée. On trouve un Jean SOMMER né à Waldersbach en 1671. J’ai aussi lu une autre source lui attribuant une naissance en 1672 à Sumiswald. La génération précédente vient en tout cas de Sumiswald.

Petite explication de texte : religion réformée évoque la confession religieuse des personnes venant de Suisse. La région d’origine (région de Bern) relie ces gens à la réforme initiée par le réformateur suisse Zwingli. L’enterrement dans le cimetière avec les autres protestants indique que peut-être, Jean Sommer ne vit pas à part de l’église officielle (de la Confession d’Augsbourg, donc luthérienne). On peut aussi se dire que le pasteur de l’époque accepte de laisser reposer les corps des protestants d’origine suisse dans le cimetière. En tout cas, Jean SOMMER est suffisamment intégré pour être admis dans la communauté, jusqu’à la mort.

On ne peut éviter de se questionner : Jean était-il anabaptiste ? Lorsqu’il meurt, le schisme provoqué par Jakob Amman émigré à Sainte-Marie aux Mines est encore tout frais. Pour rappel, Amman fonde le mouvement conservateur des Amish dans les années 1690 à Sainte-Marie-aux-Mines. S’il n’est pas suivi par les anabaptistes suisses et palatins, la majorité des anabaptistes alsaciens adoptent sa démarche.

Le nombre d’anabaptistes croît de manière importante. Les Seigneurs de Ribeaupierre encouragent leur arrivée au point qu’une soixantaine de familles anabaptistes s’installent à Sainte-Marie-aux-Mines. Un quart de la population.

Parmi les anabaptistes, certains sont plus souples, plus intégrés. Les plus pointilleux, souvent les nouveaux venus comme Jakob Amman leur reprochent de s’être compromis, éloignés de leur foi, de s’être assimilés aux us et coutumes alsaciennes. D’où le schisme entre Amish et les autres Mennonites.

Beaucoup de paysans suisses furent aussi proches du mouvement sans toutefois se détacher de leur église officielle. On parlerait aujourd’hui de sympathisants. En ce temps-là, on employait le terme de Halbtäufer. Täufer, c’est le baptiseur, l’anabaptiste. C’est le terme utilisé en allemand pour évoquer Jean (le) Baptiste, Johann der Täufer.

Jean était-il Halbtäuffer, « à moitié baptiseur » ? Ou, comme beaucoup d’anabaptistes installés avant le renouveau amish, sa famille faisait-elle partie des « compromis » ? Autour de Jean SOMMER, le hadé, on trouve un mariage avec un Loux, famille de Solbach. Mariage grâce auquel quelque héritage génétique des Sommer coule dans mes veines. Cet argument plaide, sinon l’intégration, du moins l’acceptation du milieu social et culturel dans lequel il était venu vivre. On imagine mal que sa famille ait vécu complètement en-dehors de la communauté villageoise.

Je n’exprime ici qu’une opinion s’appuyant sur quelques faits et dates. Il me semble que la descendance de Jean, à l’exemple de la majorité des anabaptistes d’Alsace a rejoint plus fermement le mouvement Amish. En 1712, paraît un décret d’expulsion des anabaptistes signé Louis XIV. Les communautés constituées vont se disperser vers des terres plus accueillantes (Duché de Lorraine, Pays de Salm, Pays-Bas, la Pennsylvanie dans le Nouveau Monde). Toutefois, les Seigneurs alsaciens qui apprécient les anabaptistes pour leurs qualités de fermiers et les innovations qu’ils ont apportées de Suisse renâclent à appliquer le décret. Les communautés de frères trouvent refuge sur les fermes éloignées, plus discrètes. Ce refuge permet de pratiquer sa religion plus facilement mais il accentue l’éloignement avec les entités villageoises et le resserrement autour des pratiques religieuses plus strictes. En plus de s’habiller différemment, de rejeter le mal, de vivre à l’écart des institutions politiques, judiciaires, religieuses, on continue de parler le dialecte bernois. Tout cela fait des générations anabaptistes du XVIIIème siècle une communauté de plus en plus renforcée dans ses particularités. Et les institutions politiques ne font qu’accentuer la chose puisque, si elles n’expulsent plus, elles tolèrent à peine ces gens à condition de discrétion. Seules les bibles familiales deviennent les témoins des événements de la vie des familles. A mon sens, la génération de Jean SOMMER, berger à Waldersabch n’avait pas encore connu à ce point ce repli communautaire.

Le fils de Jean, lui-même prénommé Jean se mariera avec Marie Barbe Neuhauser. Encore un nom, s’il en fut, qui ne laisse guère de doutes sur des liens anabaptistes. Après 1712, on peut supposer que ce dernier couple ait rejoint de préférence les territoires étrangers qui les mettent à l’abri du Roi de France. Lorsqu’on habite Waldersbach, rien n’est plus simple. On se rend à Fouday, on passe la Bruche et on se présente aux autorités et aux frères de la Principauté de Salm. Les fermes attendent, les bras ouverts, par exemple le Bambois de Plaine, les fermes des Quelles, de Salm. Plus loin, pourquoi pas, la ferme de la Crache sur la commune de Raon sur Plaine.

De toute façon, comme déjà mentionné plus haut, les Seigneurs d’Alsace ne furent guère pressés d’appliquer les ordres de Louis XIV, tout Roi Soleil qu’il fût, jusqu’au prince-évêque de Strasbourg, le Cardinal de Rohan. Ce dernier préférait certainement voir sa ferme du Struthof entre de bonnes mains anabaptistes.

Le couple Jean SOMMER, Catherine KOMMER (nés aux alentours des années 1670, décédés aux alentours des années 1705 à 1710), vivant à Waldersbach, dont la famille est originaire de Sumiswald en Suisse bernoise est donc à l’origine des futurs occupants de la ferme de la Haute Goutte. Ceux-ci auront un tel « impact » qu’on baptisera tout le secteur du terme Sommerhof (une ferme du haut, une ferme du bas ainsi qu’une superficie importante en contrebas du Champ du Feu actuellement recouverte de forêt. On peut supposer l’existence de grandes chaumes puisque ces fermes hautes en altitude vivaient d’élevage.

Ce sont les petits-enfants du hadé de Waldersbach qui viendront s’installer durablement sur la cense de la Haute Goutte.

Des pierres et des cendres

le Haut-Sommerhof

A cet endroit se trouvait une grande ferme seigneuriale, une cense. Elle se situait à 930 mètres d’altitude. Ce lieu est désormais presque effacé par la forêt.

Extrait carte IGN 3716ET au 25 000ème. Télécharger l’original.

Cet immense espace de forêt privé est hérité du maître de forge de Grandfontaine, Champy qui racheta les biens du Baron De Dietrich, Seigneur du Ban de la Roche, à l’issue de la Révolution.

Cette ancienne cense fut baptisée du nom des censiers qui l’occupèrent durant plusieurs générations, les Sommer. Mais elle exista longtemps avant elle. On pourrait tout aussi bien la nommer cense de la Haute Goutte comme ce fut le cas dans de plus anciens écrits.

Sur un site souvent consulté, les écrits virtuels de Monique-Marie François, on trouve cette phrase : « Vers 1830, 1840… La ferme du Sommerhof, que l’on avait toujours connue pleine comme un œuf de deux ou trois familles de cousins ayant chacun une nombreuse marmaille, oui la ferme du Sommerhof elle-même se vide inexplicablement, en l’espace de quelques années, et finit par disparaître. » (cf. Disparition de la cense du Sommerhof).

Voilà qui pique ma curiosité. Les Sommer, comme beaucoup de familles sur ces fermes, étaient des anabaptistes.

Un habitant de Neuviller bien informé vous rajoutera que dans le mouvement libérateur de la Révolution, les paysans du village, désormais citoyens, sont montés là-haut avec les fourches. Ils n’avaient pas de griefs à proprement parler contre les locataires de la ferme encore que ceux-ci passaient certainement pour plus aisés et privilégiés que les villageois mais contre leur propriétaire, Champy. Celui-ci tenait à garder un maximum de biens privés alors que les communes réclamaient leur part. C’est qu’en ce temps-là, il fallait alimenter les forges de Rothau en charbon de bois. Qui dit charbon de bois, dit exploitation forestière. Et qui dit exploitation forestière et charbon de bois, dit aussi élevage de bœufs pour les transports. Cette affaire se solda par un accord entre Champy et les communes en 1813, après l’intercession d’Oberlin et du préfet Lezay-Marnésia.

A la toute fin de la période napoléonienne, le 6 janvier1814, après la retraite de Russie et le début de la campagne de France, il y eut à Rothau une résistance héroïque de partisans face à l’avancée des troupes coalisées envahissant la France. Celle-ci fut organisée et dirigée par Nicolas Wolff, le maire rothoquois de l’époque. On dit qu’il trouva refuge au Sommerhof et qu’il put se dissimuler en se faisant passer pour un domestique travaillant sur la ferme.

On sait aussi avec certitude que la ferme termina dans les flammes. Mais cet événement n’a pas de lien avec une période révolutionnaire ou une guerre. Une « ancienne » de Neuviller atteste que son grand-père, habitant de la Haute Goutte, lorsqu’il était enfant, avait entendu son père s’écrier qu’il y avait le feu au Sommerhof. Cela nous ramène tout de même à la fin du XIXème siècle.

Voilà résumés quelques faits relatifs à cette ferme. Pour en comprendre l’importance, il faut comprendre qu’à l’issue de la Guerre de Trente ans, quand de nouveaux habitants vinrent s’installer au Ban de la Roche, et particulièrement des Suisses, ces fermes furent souvent un passage, une porte d’entrée. Tenues en majeure partie par des fermiers anabaptistes, elles formaient un réseau. Citons pour ce qui nous concerne, des liens avec les fermes du Struthof et de Salm, avec ce vaste espace qui deviendra le Hohwald et que l’on nommait à l’époque Bois de Barr. Il faudrait bien entendu, pour avoir une vue d’ensemble, s’étendre à beaucoup d’autres lieux comme, par exemple les Quelles, le Bambois de Plaine, des fermes de Ranrupt, de Saulxures, du Hang à Bourg Bruche.

Sans qu’on puisse souvent discerner clairement qui, parmi les immigrés bernois, fut anabaptiste ou ne le fut pas – cela demanderait tout un travail de recherche et, pour bien comprendre, un travail d’explication approfondi sur le mouvement anabaptiste qu’on restreint trop, du moins en Alsace, à la mouvance particulière dont sont héritiers les Amish, force est de constater que des familles suisses importantes au Ban de la Roche passèrent par la cense de la Haute Goutte avant de s’établir et plus ou moins s’intégrer dans la population et le bain culturel ban de la rochois. Citons, par exemple, la famille Scheppler, la famille Ropp, la famille Koeniguer.

Je n’ai pas trouvé, pour l’heure, de document relatant exactement la fin de l’aventure au Haut-Sommerhof. Mais au fil de mes recherches généalogiques, j’ai pu retracer l’occupation de la ferme jusqu’à la toute fin du XIXème siècle et en esquisser le souvenir et le devenir de ses habitants.

Poursuivons !

La Chapelle

Mille sept-cent cinquante-deux. On démolit la chapelle de Neuviller. Elle est en ruines et devient désormais trop petite pour accueillir tous les paroissiens.

Cela nous annonce certainement une bonne nouvelle. Après ce qu’a subi la communauté du Ban-de-la-Roche au siècle précédent, la population s’accroît.

La Guerre de Trente Ans qui, autour des années 1630, a failli anéantir la population, est désormais un souvenir. Seules quelques familles ont survécu auxquelles se sont ajoutées les nouveaux venus dans le Ban. Beaucoup d’entre eux sont des Suisses venus essentiellement des alentours de Bern. Il a encore fallu passer l’épreuve de la Guerre de Hollande. En 1675, Belmont brûle. Wildersbach en prend aussi pour son grade.

Puis le monde d’ici s’est remis à tourner, tout doucement. Une famille, les Ponton est même parvenue jusqu’ici depuis l’Ardèche, aux alentours de 1700. D’autres arrivent du Haut-Rhin ou du pays de Montbéliard. Les mines se sont peu à peu remises en route depuis 1725. Les activités ont repris, lentement, sans toutefois effacer la misère.

Voici un extrait de l’autorisation de collecte signée par François Joseph Barth, Bailly de la Seigneurie du Ban de la Roche (Archives du Bas-Rhin 26414, 59) :

« … Que les préposés bourgeois et habitants des communautés de Neuviller et Wildersbach… nous ayant humblement représenté que leur église située au village de Neuviller… Soit par l’antiquité de la construction, soit par les grands vents survenus d’année à autre étant non seulement tombée totalement en ruines mais même hors d’état par l’accroissement du nombre des habitants… « 

Une nouvelle église s’est alors édifiée dans le village de Neuviller, à l’emplacement de l’ancienne chapelle, elle-même remplacée un siècle plus tard, en 1858, une nouvelle fois pour cause de vétusté, par l’église actuelle. Le pasteur Stuber de Waldersbach a assuré l’intérim à Rothau pendant que le pasteur Weidknecht sillonnait les routes durant plusieurs mois à la recherche d’aides pécuniaires. Il recevra cette aide de la société protestante aisée de Strasbourg mais aussi de Francfort.

En ce temps-là, une cloche est une fortune. On fond la vieille cloche de la chapelle. Une inscription évoque la date de 1573. La cloche actuelle qui a connu des refontes et ajouts successifs contient encore de la matière première de cette première cloche.

Le lieu-dit « La Chapelle »

Située sur une petite bosse dominant l’endroit le plus ensoleillé de la contrée, entre les deux villages de Neuviller et Wildersbach, ce lieu-dit est l’objet d’une interrogation sans réponse. Aux limites des deux bans communaux, se trouvent quelques pierres qu’on dit ruines d’une ancienne chapelle, bien à l’abri sous de grands chênes, occupant un site idéal, reposant, incitant à la contemplation.

Les deux villages de Neuviller et Wildersbach ont longtemps formé une communauté d’âmes. Un document consulté m’apprend que Wildersbach a eu église et presbytère mais qu’ils furent détruits par les maraudeurs Impériaux en colère de ne rien trouver à piller. Aucune date n’est mentionnée sur le document consulté mais on peut relier ces événements aux périodes sombres de la Guerre de Trente Ans ou de Hollande.

La chapelle de Neuviller est citée dans les archives paroissiales de Rothau dès les années 1640. Elle devint commune aux deux villages proches. Elle existait de plus longue date puisque sa cloche la fait au moins remonter à 1573. Elle fut catholique avant que les Seigneurs de Veldenz n’établissent définitivement le protestantisme luthérien dans la contrée en 1584 (protestantisme instauré dès 1578 par les Rathsamhausen). En ces temps anciens, la paroisse de Rothau englobe Wildersbach, Neuviller, Riangoutte et la Haute-Goutte. Le pasteur monte de Rothau pour célébrer ici, dans cette chapelle, outre les cultes habituels, les baptêmes et les mariages. Les morts, eux sont ensevelis à Rothau.

Mais de quelle chapelle parle-t-on dans le paragraphe précédent ? Eh bien de celle déjà située au cœur du village de Neuviller et qui deviendra église. On ne peut confondre avec les quelques vestiges se résumant désormais à quelques pierres que les gens d’ici « vénèrent » encore en se rendant si souvent en promenade au lieu-dit La Chapelle. On a même pris l’habitude d’y tenir un culte de plein air à la Pentecôte. Ces vieilles pierres et la persistance du nom dans la toponymie est pourtant à prendre en considération. Il y eut très certainement en ce lieu au moins un petit édifice religieux. On m’a parlé d’une ancienne carte – que je n’ai pas encore eu la chance de consulter – évoquant une chapelle portant le nom de Saint Luden. L’ancienne église de Natzwiller fut aussi vouée à ce saint aux temps où les pèlerins, venant de Lorraine, montaient en pèlerinage au Hohenbourg, plus connu sous le nom de Mont Sainte-Odile.

Je me permettrai ici une suggestion. Certainement une parmi d’autres. Neuviller, comme son nom l’indique, fut nouveau en son temps. On cite ce nom en 1434. Le village fut alors à peu près un lieu central dans la vallée de la Rothaine entre Rothau (nom cité en 1398)- Wildersbach (nom cité en 1489) et la Haute-Goutte (déjà citée en 1382) et Riangoutte. Il peut paraître logique d’y implanter une chapelle qui permet de ne pas se rendre à Rothau pour les offices.

Quant à la chapelle du lieu-dit, elle me paraît avoir eu une existence plus ancienne avant de disparaître complètement tout en restant dans le cœur des villageois (avant 1573 ?). Offrait-elle une protection aux cultures qu’on pratiquait à ses pieds ? Était-elle le premier lieu de vénération divine situé un peu trop à l’écart du futur village et certainement de taille assez réduite ? Était-elle une simple petite chapelle offrant repos et protection comme on en trouve souvent en pays catholique (dans les champs, au milieu des vignes…), ce que fut le Ban de la Roche avant que ses seigneurs n’optent pour le protestantisme ? Ajoutons encore que si l’on devait retenir le nom ancien de Saint Luden, on peut remarquer que de nos jours encore, la fête du village de Neuviller se tient à la Saint Louis.

Le lieu-dit la Chapelle reste un site mythique. On y trouve, protégés par de grands arbres, quelques pierres comme seuls vestiges d’une très ancienne chapelle . Désormais, on distingue de plus en plus difficilement l’emplacement du lieu de culte. Partant du village de Neuviller, cela reste une belle promenade à effectuer par temps ensoleillé. Sur le site, l’un des mieux exposés du village, dominé par le bois qui abrite les vestiges, on pratiquait la culture de pommes de terre et de seigle. Quand on arrive dans cet endroit, on se sent encore protégé. Et la mémoire collective a préservé intact le nom de ce lieu durant de nombreux siècles.

Pour en savoir plus :

On trouve ce document dans les archives paroissiales de Rothau, sous la plume du pasteur Weidknecht alors en poste :

(Rothau – Registres Paroissiaux (Avant 1793) – Paroisse protestante (Avant 1793) – Registre de baptêmes mariages sépultures 1742-1774 – 3 E 414/5)

Transcription :

L’an 1752. On a démoli la chapelle de Neuviller étant trop petite pour contenir tant des auditeurs, et on a posé le 14ème juin les fondaments d’une nouvelle église au nom de Dieu laquelle on a achevée par l’assistance de Dieu dans l’espace de six mois. Les habitants étant fort pauvres Dieu leur a excité des bons et hauts patrons Savoir dans la ville de Strasbourg S. T. le Docteur et Professeur en Théologie Reuislin par ses soins, leur furent procurés et donnés plus que quatre cents livres des charitables âmes ; et dans la ville de Francfort sur le Main et autres lieux de l’Empire, on leur a cueilli 192 (Reich)thalers argent comptant. Ce nouveau temple fut béni et consacré à Dieu le premier jour de l’an 1753.

Par Jean Michel Weidknecht Ministre de Rothau, qui a cueilli la susdite somme de 192 thalers avec beaucoup de peine.

Et tout ce monde issu d’un sabotier ?

Pour conclure – provisoirement – sur le sujet des départs vers les Etats-Unis, voici schématisé le noyau familial qui s’en alla aux alentours de 1842 porter ses espérances vers d’autres cieux :

Le schéma est téléchargeable, en voici le lien.

Marie, Louise et Samuel Ganière sont frères et sœur. Leur cousin Joseph, marié à Louise fait évidemment partie du lot. Tous quatre ont pour grand-père Nicolas Ganière, sabotier à la Haute-Goutte, un de mes nombreux ancêtres (à la septième génération tout de même).

Alliance est faite par mariage avec la famille Pente. Jean Pente, le père de Jean (devenu John) et de Marie Salomé est le premier du nom à venir s’installer à la Haute-Goutte. Il vient d’Aubure, dans le Haut-Rhin, à deux pas ou presque de Sainte-Marie-aux-Mines, où il est né en 1775.

L’année 1842, le Panama amène à son bord huit personnes répondant du nom de Ganière.

Cette fois, il est difficile d’établir un lien formel avec des personnes de Neuviller. Mais ces passagers sont inscrits sous les prénoms de Marie, Charles, Eugène, Frédéric, Jean, Justin, Suzanne. On peut simplement constater, en faisant correspondre les âges, que deux familles correspondent :

Première famille : Jean Michel Ganière, sabotier, né en 1795, époux de Marie Madeleine Hisler, père de Frédéric, Caroline Justine, Charles et Henri Eugène. Nous n’avons pas de preuve formelle de cette émigration. Juste des indices concordants. Les enfants correspondent à un détail près : Justin (sexe masculin) au lieu de Justine. Erreur ? Prononciation à l’anglaise pouvant prêter à confusion ?

Deuxième famille : André Ganière et son épouse Suzanne Kommer, tous deux décédés en 1889 à Waltham, comté de Lasalle, Illinois. C’est parfait, l’âge, tout correspond. Sauf que :

  • Suzanne apparaît sous Suzanne Ganiere et non Suzanne Kommer. On lui attribue son nom d’épouse, cela peut convenir.
  • Ce couple déclare des naissances d’enfants à Neuviller (un enfant mort-né en 1842 puis une petite Caroline qui n’a vécu que quatre jours et trois enfants mort-nés de 1845 à 1850). Le laps de temps entre 1842 et 1845 laisserait-il supposer un aller, un retour, puis un départ final après 1850 ? Est-ce envisageable avec le coût du voyage et l’engagement vers une nouvelle vie à des milliers de kilomètres ? Ou ce couple a-t-il émigré plus tard ?

Bien sûr, nous n’avons parlé là que des Ganière. Il faudra prendre le temps d’évoquer d’autres familles de Neuviller tentées par le long voyage de non retour dans l’espoir – pouvons-nous en douter ? d’une vie meilleure.

Des Ganière aux Etats-Unis : belles réussites et descendants célèbres

Le frère de John

Jonathan Ganière avait un frère, George, né à la Haute-Goutte le 14 novembre 1836. Il se maria au début des années 1860 avec Margaret Weiand. Il mourut à Chicago le 04 janvier 1872. Le site Findagrave où l’on trouve son mémorial le prénomme John George et contient une erreur concernant son année de naissance.

Attardons-nous sur ses trois enfants :

Louise Emily (1863 – 1935)

La fille cadette de George se maria avec Richard Melms, médecin et chirurgien.

George Etienne GANIERE (1866 – 1935)

Voici (résumé) ce qu’on peut lire sur son mémorial, sur le site Findagrave :

George Etienne Ganiere Sculpteur. Etudiant et professeur à l’Art Institute of Chicago. Il a reçu le prix le plus élevé de l’AIC pour la sculpture idéale en 1901. Cette même année, il expose à Buffalo Expo. D’autres commandes comprennent la St. Louis Expo en 1904, Pan Pacific Expo en 1915 et la Great Lakes Expo en 1936. Il est aussi le sculpteur officiel de l’État de Floride à l’Exposition universelle de New York en 1939. Créateur d’au moins deux statues grandeur nature d’Abraham Lincoln et …de la statue d’Anthony Wayne à Fort Wayne, IN. Il a enseigné la sculpture à l’Université Stetson en Floride ainsi qu’au Rollins College, également en Floride.

Eh oui, nous venons de mettre la main sur un artiste célèbre aux Etats-Unis dont le père naquit à la Haute-Goutte.

Robert Charles (1870 – 1955) – le fils aîné

Robert Charles toucha aussi à l’art puisqu’il fut photographe. Voici ce qu’en dit Pierre GANIERE :

« Robert Charles Ganiere était un photographe qui avait un studio à Chicago. Il y est né le 18 Septembre 1870. Il a été marié pendant une courte période à une femme native de Norvège mais qui mourut peu de temps après leur mariage. A cette époque, il œuvrait au studio de photographie à Chicago. Avant et pendant l’année 1910, il était pensionnaire dans la maison de famille de Rufus Ellsworth. L’épouse de Rufus et sa fille Alice, ainsi que ses frères vivaient aussi dans la maison. Quelque temps après 1910, il a déménagé à San Diego, mais vers 1917 ou à peu près, il est retourné à Chicago et a épousé Alice Ellsworth. Peu de temps après, Alice et lui sont ensuite retournés en Californie du Sud. Ils n’ont jamais eu d’enfants. Alice est décédée à San Bernardino en 1944. Robert épousa par la suite Florence, la personne avec qui il est enterré. »

On trouve une référence sur le site LangdonRoad.com :

« GANIERE, ROBERT C.

Ganiere, Robert C., photographer, 299 W Indiana, Chicago, IL (1892); Robert C. Ganiere, photographer, 299 Grand Ave., Chicago, IL (1900) City Directories« 

On se dit parfois que ces gens en allés autrefois pour trouver mieux sous d’autres cieux ont disparu de nos vies et de nos souvenirs collectifs. Certes, ils n’ont pas traversé notre histoire et n’ont pas connu les mêmes plaies, ni les mêmes bonheurs. Et pourtant, ils sont aussi des enfants de ces familles qui ont construit ce que nous sommes. Nous en retrouvons la trace, pas si éloignée que cela. Et parfois, nous avons de belles surprises. Chacun a tracé sa route, avec plus ou moins de réussite. En observant ce que sont devenus quelques-uns des Ganière partis de la Haute-Goutte dans les années 1840, on peut se dire qu’ils emportèrent avec eux des valeurs bien ancrées dans les esprits protestants de leurs aïeux.

Le cousin Charles prend les armes

A la Haute-Goutte, dans les années 1840, les Ganière ont décidé de partir tenter leur chance dans le Nouveau Monde. Visiblement, cela ne concernait pas une seule famille au sens restreint du terme tel que nous l’entendrions actuellement. Le couple Samuel Ganière – Marie Salomé Pente, marié à Neuviller en 1833, pense aussi à partir. Samuel est le frère de Louise, mère de John Ganière, autre famille émigrée.

Un départ prudent ?

Le couple a sept enfants connus : Jean-George (1833-1900), Suzanne (1834-), Charles (1836-1921), Jean David (1839-1842), Eugène (1841-1947), Frédérique (1843-1942), Marie Louise (1844-1915). Les dates sont importantes pour mener une petite enquête.

Le père, Samuel déclare les naissances et les décès de ses enfants à Neuviller jusqu’à la petite dernière en 1844. En 1847, le décès d’Eugène est déclaré par son parrain et oncle (par alliance) Chrétien Marchal. Le décès a eu lieu dans la maison de Chrétien Marchal.

Une fille du couple, Suzanne, se marie à Neuviller le 25 octobre 1856 avec David Charles Yoeslé et établira une descendance à Neuviller. A ce mariage, le Juge de Paix de Schirmeck établit un acte de notoriété indiquant que le père, Samuel est sans domicile connu mais la mère, Marie Salomé est présente.

Deux derniers éléments :

-On sait qu’un certain Samuel Ganière est arrivé à l’âge de 30 ans aux Etats-Unis, en 1844, sur le Burgandy, en provenance de France.

  • Et on sait aussi que Jean George, le fils aîné du couple s’est marié aux Etats-Unis le 15 janvier 1856, même année que sa sœur restée à Neuviller.

Qu’en déduire ? Le père serait probablement parti en éclaireur. Accompagné de ses enfants ? Tous sont allés s’établir aux Etats-Unis sauf Suzanne. On ne sait pas ce qu’est devenue Marie Salomé Pente. A-t-elle rejoint sa famille ? A-t-elle fait le choix de rester vivre sur sa terre natale en gardant près d’elle sa fille aînée ? Les autres enfants du couple, Jean George, Charles, Frédérique, Marie Louise feront leur vie aux Etats-Unis.

Charles : un engagement volontaire dans sa nouvelle patrie

Charles Ganière est le cousin de John Ganière. Les voici tous deux prêts à s’engager dans une nouvelle vie. Charles s’engagera volontaire comme soldat lors de la guerre civile, plus connue dans nos livres d’histoire comme Guerre de Sécession.

Pour mémoire, la Guerre de Sécession (1861 – 1865) opposa les Etats de l’Union restés fidèles au Président Lincoln aux Etats Confédérés ayant fait sécession. L’enjeu était, doit-on le rappeler, l’abolition de l’esclavage. Il était aussi un enjeu économique et social entre les Etats du Nord de plus en plus industrialisés et demandeurs d’une main-d’œuvre ouvrière et les Etats du Sud restés agricoles et se reposant sur une main d’œuvre peu onéreuse par l’emploi d’esclaves. Au-delà du problème moral évident à nos yeux, deux choix de société fondamentaux s’affrontaient. Doit-on rappeler que, dans les faits, toute l’histoire contemporaine des Etats-Unis reste profondément marquée par ces antagonismes ? Doit-on rappeler que cette guerre eut le plus grand coût en vies humaines de l’histoire des Etats-Unis ? Rajoutons qu’avec la Guerre de Crimée, elle marqua le basculement des techniques de guerre entre les conflits de type napoléonien et les futurs conflits armés dont la Première Guerre Mondiale.

Voici ce que Le site de Pierre Ganière nous apprend au sujet de Charles :

« Charles a les yeux bleus/gris. Il mesure 5 pieds et 7 pouces (soit 1 mètre 70 cm ).
Charles s’est engagé volontaire le 14 août 1862 à la 9ème Compagnie au 88ème d’Infanterie des Volontaires en Illinois (commandée par le Colonel Frank SHERMAN) durant la Guerre de Sécession sous le matricule n°1182638. Il a été libéré de son service militaire le 9 juin 1865. A été prisonnier de guerre pendant plus de 18 mois à la bataille de Chicamagua du 9 au 20 septembre 1863. A souffert suite à son incarcération à Dannville, Libby et Andersonville de scorbut, d’asthme, de rhumatisme et de paralysie du côté droit. Son numéro de Pensionné de guerre est le 588945. A été reconnu comme invalide le 9 août 1890. »

Voici un lien vers un document confirmant l’emprisonnement de Charles Ganière à Andersonville .

Charles fut marié le 21 octobre 1866 à Sophia Forster par le révérend E. Keuchen Stiner STREHLOW en l’église allemande luthérienne.

On possède une photo du couple au cinquantième anniversaire de son mariage.

Voilà donc un autre natif de Neuviller, de la famille Ganière, engagé avec conviction – supposons-le par son engagement volontaire – dans une lutte qui vise l’abolition de l’esclavage. Un prochain article donnera quelques indices encore de l’adhésion des familles Ganière de la Haute Goutte aux convictions du Président Lincoln.

My first name is John, John Ganière

Voici John GANIERE, citoyen des Etats-Unis en présence de son épouse Elisabeth RUTH. Le site Findagrave m’indique que sa sépulture se trouve à Littleton Cemetery, Littleton, Buchanan County, Iowa, USA. Autrement dit, dans l’Etat de l’Iowa, Comté de Buchanan, ville de Littleton. Ce monsieur est né à la Haute-Goutte le 03 août 1834 sous le prénom de Jonathan.

Les parents de Jonathan GANIERE sont Joseph GANIERE , tisserand et Louise GANIERE. Ils se marièrent en 1828 à Neuviller. On connaît la sépulture de Joseph GANIERE. Il est décédé le 26 mai 1867 et repose au cimetière de Long Grove, Comté de Lake, Illinois.

La famille a huit enfants connus. Le dernier-né du couple à la Haute-Goutte est Julien, né en 1843. Selon la généalogie de Pierre Ganière, une fille, Eliza est née à New York aux Etats-Unis en 1848.

Cela nous donne une idée de la période où cette famille émigra vers de nouveaux cieux (1847 ? 1848 ?). Les bateaux en provenance du Havre débarquaient leurs passagers candidats pour le Nouveau Monde à New York. La base de données de The Statue of Liberty―Ellis Island Foundation, Inc ne m’a pas livré de renseignements précis à leur sujet.

Pierre Ganière ajoute encore cette note : « Le recensement fédéral américain du 19 septembre 1850 fait état que toute la famille est installée dans la ville de Vernon, Comté de Lake en Illinois : Joseph le père ( 46 ans ), Louisa la mère ( 45 ans ) et leurs enfants : George ( 13 ans ), Louisa ( 19 ans ), John ( 16 ans ), Charles ( 10 ans ) et Eliza ( 2 ans ), cette dernière étant née à New York, USA. » Remarquons simplement que ne figurent, ni Marie Catherine (1829), ni Joseph (1839) qui n’a survécu qu’une journée, ni Julien (1843).

Dans les années 1840, les Ganière de la Haute-Goutte ont eu la bougeotte. J’y reviendrai en détails en y consacrant plusieurs articles successifs. Certainement avaient-ils de bonnes raisons : chômage, crises politiques et économiques, espoir d’une vie meilleure. Ces années ont été particulièrement marquées par les crises sociales et économiques. On ne laisse pas tout derrière soi juste pour le plaisir.

Intégration dans le rêve américain et ascension sociale :

Henry John Ganière – photo présente sur le site Findagrave

Le fils aîné de Jonathan Ganière, Henry John Ganière (1860 – 1960) est un exemple de réussite selon les critères du rêve américain.

Voici traduit ce que contient le site Findagrave à sa louange :

« Henry John Ganière était le premier enfant de John et Elizabeth Rust, né le 21 juillet 1860. Ses parents sont venus dans l’Iowa avant la guerre civile. Pendant une courte période durant la guerre, la famille a vécu dans l’Illinois, le reste de sa vie, Henry a résidé dans l’Iowa.

Henry était un véritable pionnier dans tous les sens du terme. Il a aidé à fonder et a été membre du conseil d’administration de nombreuses organisations qui ont influencé une communauté grandissante. Il a été président du Consolidated School District pendant dix ans. Lorsque la laiterie de Jesup a été construite, il a siégé pendant vingt ans à son conseil d’administration et en a été président à une époque.

Henry a aidé à organiser la Farmers Mutual Telephone Company et a passé soixante ans à son conseil d’administration. Il a siégé au conseil d’administration d’une banque locale pendant plus de quarante ans.

Il a été administrateur de l’Église baptiste et a rejoint plus tard l’Église méthodiste, en tant que fiduciaire. (Détails tirés d’une histoire écrite en 1955 dans le cadre d’un projet scolaire par Alice Mae Brown).
Le 8 novembre 1899, il épousa Myrtle Decker. Ils ont eu deux enfants, Earl qui a épousé Edith Emerson et une fille, Nelva, décédée alors qu’elle était dans sa cinquième année. »

Membre fondateur, administrateur, président, touchant à la vie économique (laiterie, mutuelle, banque), à l’éducation (consolidated school district) et à la vie religieuse en glissant vers des mouvements protestants typiques des Etats-Unis (baptiste, méthodiste). Un parfait exemple de réussite de descendant de protestants du Ban-de-la-Roche aux States !